ETHIQUE ET TANTRA
"Aimes, et fais ce que tu voudras" a écrit saint Augustin.
"Sois conscient, et fais ce que tu sens juste" pourrait-on dire dans l'esprit du zen.
Certes, si nous étions tout le temps immergés dans la conscience et dans l'amour, nous pourrions vivre dans une spontanéité continuelle et en parfaite harmonie avec les autres, sans avoir besoin de règles, ni même de parler d'éthique! Mais un petit peu d'auto-observation et de lucidité suffit à nous montrer que c'est généralement loin d'être le cas...
Ainsi en ce qui concerne les stages de Tantra, l'intention posée est de vivre au maximum dans l'amour, la conscience, la liberté et la spontanéité. Mais là où nous en sommes sur le chemin, un certain nombre de règles permettent de s'ouvrir pas à pas, et en toute sécurité. L'éthique que je propose au cours des séminaires est basée avant tout sur l'écoute, le respect et la communication authentique.
Etre dans la présence, à l'écoute de soi, de l'autre, et de l'ensemble de la situation, constitue le fondement le plus important de cette approche du Tantra. Car c'est cette Présence attentive qui permet de saisir toutes les nuances de notre état intérieur, ainsi que de son partenaire et de l'environnement. Cela est la base du respect de soi-même et de l'autre, à la condition d'exprimer aussi clairement et précisément que possible nos souhaits, nos besoins et nos limites.
Au cours des stages, j'insiste sur la nécessité, pour tous les exercices à deux, de trouver la distance juste par rapport à son partenaire. Car ce n'est pas parce que l'on fait du Tantra, que l'on doit se retrouver nécessairement "collé" à quelqu'un dont on se sent plus ou moins proche! En fait, c'est l'attitude inverse qui donne les meilleurs résultats: commencer une pratique à une certaine distance, et se rapprocher seulement si une réelle affinité se développe.
Pour encourager cette attitude, à chaque démonstration d'exercice j'indique plusieurs façons de le pratiquer, chaque fois à une distance ou avec une position différente. Par exemple, dans "chakras sound" ( la pratique qui consiste à faire résonner des sons dans les sept principaux chakras en face d'un partenaire), on a les possibilités suivantes:
-Assis face à face sans se toucher,
-Assis face à face avec un contact au niveau des mains,
-Assis dos à dos,
-assis "en cuillère" (l'un tourne le dos à l'autre),
-Assis en "yab-yum" (l'un est assis sur les genoux de l'autre),
-Allongé face à face,
-Allongé "en cuillère".
Quelle est la meilleure de ces positions ? Celle qui est, dans l'instant, la plus juste pour les deux partenaires !
De façon plus générale, trois règles permettent de donner un cadre précis dans lequel il est possible de pratiquer le Tantra en toute sécurité.
La première est la confidentialité: " tout ce qui se dit et se vit dans le groupe reste dans le groupe". Il est possible de parler de sa propre expérience, mais jamais nommément de l'expérience ou des propos d'une autre personne du groupe. Cette règle, qui peut paraître simple et presque évidente, se révèle souvent assez difficile à respecter dans la vie quotidienne, tant est forte la propension du mental à faire des commérages (ou comme on dit dans le midi, à "tchatcher"). Pourtant il est à mes yeux indispensable de la respecter, car des participants peuvent être amenés à dire ou à faire des choses qui seront tout à fait à leur place dans la dynamique d'un stage de Tantra, mais qui paraîtront bizarres, ou même choquantes; à des personnes extérieures. Et cela d'autant plus que le phénomène de la rumeur tend généralement à amplifier et à déformer les situations réelles.
La seconde règle est celle de s'abstenir de toute forme de violence pendant le groupe, qu'elle soit dirigée vers une autre personne, vers soi-même ou vers le matériel présent sur place. Il est très important de différencier l'expression d'émotions telles que la colère ou la rage, avec le passage à l'acte violent. Dans un stage de Tantra, toutes les émotions sont accueillies sans jugement, y compris celles dites "négatives" telles que l'agacement, la tristesse, la peur ou la colère. Car c'est seulement en les acceptant pleinement qu'elles peuvent se transformer de manière authentique, et non pas venir gonfler la masse des émotions réprimées qui se trouvent déjà dans notre inconscient. Il y a dans notre société beaucoup de confusion à ce sujet, et l'expression de la colère est généralement très mal vue, car associée avec la violence destructrice. Or la colère en tant que telle est une une de nos énergies les plus profondes, celle qui nous permet de nous dresser face à l'injustice, et d'avoir les ressources nécessaires pour changer une situation.
Plus la colère est réprimée, plus, lorsqu'elle finit par éclater, elle peut effectivement devenir dangereuse ou destructrice. Plus elle est acceptée et vécue en pleine conscience, plus elle peut se transformer en intégrité et en vitalité. La règle pendant les stages est d'accepter sa colère comme tout autre émotion, et de l'exprimer si besoin est, mais d'une façon qui ne soit dangereuse ni pour soi ni pour les autres; par exemple en tapant sur des coussins ou des matelas, ou bien en pratiquant des méthodes cathartiques telles que la méditation dynamique ou le Rebirth. Dans mon expérience de maintenant plus de 30 ans d'animation de groupes, j'ai souvent constaté qu'une personne qui est capable de ressentir et d'exprimer sa colère en conscience est de plus en plus en contact avec sa joie de vivre, sa vitalité et sa capacité à aimer. Lorsque la colère est connue et en quelque sorte "apprivoisée", il devient de plus en plus facile d'exprimer cette énergie comme une juste affirmation de soi, ou encore d'en faire une célébration de sa puissance personnelle.
La troisième règle concerne l'expression de la sexualité. Il est vrai que des tantrikas ont couramment utilisé des pratiques sexuelles au cours de leurs rituels, telles qu'en témoignent les sculptures sur les célèbres temples indiens de Khajurao. Mais cela se passait en Inde il y a plusieurs siècles, dans un contexte culturel et social extrêmement différent du notre aujourd'hui en France. C'est en tenant compte de cela que j'ai adopté cette règle très simple et précise: il peut y avoir un rapprochement et une intimité entre deux personnes, si cela est juste pour chacun des partenaires, sans jamais qu'il y ait de rapports sexuels pendant les séances de groupe (en dehors des séances de groupe, chacun est libre de ce qu'il, ou elle, souhaite vivre). Cette règle, outre le fait d'être en harmonie avec notre culture, permet de vivre un aspect important du Tantra, qui est de pouvoir contenir notre énergie sexuelle, afin de mieux la maîtriser et la faire circuler dans notre flûte intérieure.
Le but de toutes ces régles n'est pas de nous entraver dans notre élan vital, mais plutôt de nous permettre de le vivre pleinement en toute sécurité. En se rappellant que le Tantra a été créé par des êtres rebelles aux dogmes traditionnels de l'hindouisme et du bouddhisme, on comprend aisément que ce cadre n'est pas une fin en soi; il est seulement une étape dans notre cheminement vers toujours plus de conscience, d'amour et d'extase.
CHETAN JOEL SAMARPAN