En mémoire de Prem Rajo

 

Prem rajo                 

      Cher Rajo !

La première image qui me vient de toi est celle de ton impressionnante stature, très semblable à celle que je me fais de certains maîtres zen en Chine ou au Japon : un gros crâne entièrement rasé, un visage aux traits impressionnants de force et de douceur mêlées, un corps puissant avec un gros ventre de bouddha rieur...

Tu nous as quitté il y a maintenant environ 3 semaines, et je me sens appelé à témoigner de ton passage parmi nous pour nos amis communs, les personnes qui t'ont croisées dans plusieurs de mes stages et celles qui t'ont entr'aperçu, ou simplement entendu parler de toi.

Ces mots viennent sans doute surtout de la part de mon coeur que tu as su toucher...

Tu fais partie de ces "vieux compagnons de route" du monde d'Osho, que j'ai l'impression de connaître depuis... toujours !

Un souvenir plus précis qui émerge est celui d'une époque, il y a environ une vingtaine d'années, où tu vivais un peu en ermite, dans une grande yourte que tu avais construite aux alentours de Saint-Girons, près des Pyrénnées.

Puis j'ai quitté la France pour vivre une dizaine d'années à Hawaï, et nous n'avons plus eu aucun contact. J'avoue que je ne pensais pas du tout à toi lorsqu'au mois d'avril 2016 j'ai reçu un coup de téléphone venant de l'Office du Tourisme de la petite ville près de laquelle je venais de m'installer la veille, avec quelques amis, pour créer l'embryon d'une communauté spirituelle. Je pensais d'abord qu'il s'agissait d'une erreur, mais l'employée insistait "non, non c'est bien pour vous !". J'entendis la voix de Rajo au téléphone : "J'arrive du Brésil, et je viens vivre avec vous...". J'étais abasourdi, partagé entre la joie de ces retrouvailles imprévues et la soudaineté de cette annonce."Mais tu aurais pu au moins me prévenir... téléphoner... envoyer un mail... !". "Ce n'était pas possible, dit Rajo, je viens juste de rentrer et c'est notre ami commun Pascal qui m'a envoyé une capture d'écran avec le nom de cette petite ville, près de laquelle tu annonçais la création de cette communauté".  "Mais Rajo, je ne suis pas disponible, il y a ici un géobiologue que j'ai invité pour harmoniser le lieu..." "Ce n'est pas grave, je prends un taxi et j'arrive !". Une demi-heure après, voici notre Rajo qui débarque, tout habillé de noir et avec une valise aussi impressionnante que sa carrure. La première surprise passée, je fus heureux d'accueillir sa présence forte qui vint renforcer notre petite équipe.

Comme bon nombre de discipes d'Osho, Prem Rajo, "Roi d'Amour", (de son nom d'origine Raphaël), avait un parcours fort atypique et original. Il s'était intéressé très jeune à la cuisine macrobiotique et avait été le gérant du restaurant parisien "Le Bol en Bois", très connu dans le monde de la macrobiotique. Ses recherches dans ce domaine le conduisirent au Japon, où il passa de nombreuses années, dont plusieurs au sein de monastères zen traditionnels. A plusieurs occasions il participa à la cuisine dans ces grands monastères. C'est au Japon qu'il entendit parler d'Osho, et s'est senti attiré par ce mystique "spirituellement incorrect" et le vent de liberté qu'il apportait. Cette nouvelle orientation spirituelle le fit partir en Inde, en particulier dans la ville de Poona où se trouve le grand centre spirituel lié à Osho et où il passa aussi de nombreuses années. A Poona, outre l'influence directe d'Osho, il expérimenta aussi l'enseignement de la non-dualité avec une femme nommée Delano (elle-même ancienne disciple d'Osho, qui enseignait sous sa propre autorité). C'est aussi à Poona qu'il rencontra une sannyas (disciple) brésilienne qui devint sa compagne, et c'est avec elle qu'il venait de passer deux années au Brésil, juste avant de débarquer dans mon nouveau lieu de vie !

Par chance, après dix années de nourriture crudivore, je m'étais remis à manger cuit, et j'ai pu ainsi goûter les délicieux petits plats de céréales, de légumes et d'algues qu'il nous mitonnait, avec bien entendu souvent le soir la traditionnelle soupe de miso.

Outre la cuisine macrobiotique, un des piliers de la vie de Rajo était la méditation, et il aimait par-dessus tout pratiquer la technique appelée "Nadabhrama", transmise par Osho, qui consiste en une demi-heure de chant OM, puis un quart d'heure de gestes lents des mains symbolisant l'action de donner et de recevoir, et enfin un quart d'heure de silence dans l'immobilité. Tous les matins, qu'il soit seul ou accompagné de certains d'entre nous, Rajo pratiquait cette méditation, avec une constance remarquable. 

Une autre pratique qui lui tenait a coeur était celle du massage Shiatsu, dont il était un praticien fervent depuis de longues années, certains le désignant même sous le titre de "shiatsu master". Il s'était formé plus récemment au watsu (une pratique associant mouvements, bercements et massage dans l'eau chaude), et il pu donner des séances avec bonheur dans la piscine d'eau chauffée dont nous disposions à Bio.

Un autre aspect remarquable de Rajo était son sens aïgu de l'humour, des jeux de mots et des calembours en tous genres dont il se régalait et qu'il nous servait à tous propos... et parfois hors de propos ! Il semblait que cette attitude ait un effet contagieux, réveillant peut-être certains coins peu utilisés de nos cerveaux. Nous en vinmes à définir une nouvelle maladie : la "rajonisse", qui s'attrapait généralement en quelques jours passés à son contact. Nous succombâmes tous peu à peu à cette maladie, et mon fils Florian en subit l'influence particulièrement forte pendant de nombreux mois (aujourd'hui il est enfin guéri !).

Au bout de quelques temps des tensions se produisirent au sein de notre petit groupe, aussi bien qu'avec certaines personnes de passage, lorsque Rajo se positionna à plusieurs reprises dans la posture d'un être "éveillé", c'est-à-dire pleinement réalisé. Ses déclarations étaient vécues selon les personnes comme surprenantes, inadéquates, provocatrices, voire carrément insupportables; d'autant plus que Rajo faisait preuve, dans nombre de situations concrètes de la vie quotidienne, d'un comportement que l'on pourrait qualifier de "réactif" ou "dans le jugement", fort éloigné de l'attitude que l'on peut attendre d'une personne "éveillée". Je me rappelle de réunions homériques, où j'essayais sans grand succés d'apporter un peu de compréhension entre Rajo d'un côté, et des personnes qui lui "volaient dans les plumes" de l'autre ! 

Un changement important survint au cours d'un stage de Tantra que j'animais dans ce lieu, lorsqu' il accepta, non sans quelques réticences au début, de participer pour rétablir la parité homme/femme après un désistement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, arrivé à l'âge de 73 ans et après de nombreuses années passées dans l'univers d'Osho, Rajo n'avait encore jamais participé à un stage de tantra. Ce premier groupe sembla être une révélation pour lui, et il participa ensuite avec enthousiame aux autres stages qui suivirent. C'était magnifique de le voir s'ouvrir de groupe en groupe, de sentir son coeur vibrer, son enfant intérieur s'exprimer, et aussi de le voir tomber amoureux, ou plutôt "grandir en amour" (Anne, Caroline ou... vous rappelez-vous ?).

Trois mois passèrent ainsi, et malheureusement un jour, en travaillant dans le jardin, Rajo perdit l'équilibre et cette chute provoqua une douleur à la hanche qui l'handicapait assez fortement. Il décida donc de retourner en Ariège, région où il avait beaucoup vécu, afin d'y recevoir des soins médicaux. Les médecins lui conseillèrent une opération. Au cours des examens préalables, il fût découvert qu'il était attteint d'une leucémie. J'eu l'occasion de parler longuement au téléphone avec lui quelques jours après, et je sentis à quel point il était bouleversé par cette découverte. Il me sembla que tout un pan de son système de croyance, en particulier envers la macrobiotique et la bonne santé qu'elle devait lui apporter, s'écroulait et le laissait dans un profond désarroi... Quelques temps après, il accepta les traitements traditionnels anti-cancer proposés par les médecins et son état sembla se stabiliser. Je sais qu'une très grande joie lui fut apportée par la visite pendant un mois de son amie brésilienne, en début d'année 2017. A plusieurs reprises ce printemps, mes pensées revinrent auprès de lui, et avec mon amie Fleur de Lune, qui l'avait bien connu, nous projetions de lui téléphoner. Mais pris par l'organisation de nombreux stages et les entretiens qui vont avec, je remis cela à plus tard, encore et encore... jusqu'à ce jour de début d'été où je reçu le message de notre ami commun Dhyan Pascal m'annonçant son départ.

Je ressens bien sûr le regret de ne pas lui avoir parlé une dernière fois, et en même temps je me sens étrangement en paix avec cela, peut-être parce que pendant nos quelques mois de vie ensemble nous avons eu de nombreux échanges de coeur à coeur, que je sens toujours vibrer en moi. Mais je me demande comment il a vécu ce moment si particulier qu'est l'approche de la mort et le passage dans l'au-delà, qui est, je crois, pour chacun de nous le "test ultime" de toute notre recherche spirituelle. Est-ce qu'il a pu franchir ce cap dans la non-dualité et cet éveil qui lui était si cher ? Son Etre baigne-t-il maintenant en unité parfaite avec le Tout, ou bien devra-t-il revenir jouer encore un peu avec nous sur ce plan d'existence ?

D'aprés le témoignage d'amis communs, qui l'ont vu quelques heures avant son départ, il semblait souriant, serein et en paix à l'orée de son grand voyage...

Dans tous les cas, soit béni cher ami, et reçois le merci de mon coeur pour nos moments d'amitié et de complicité partagée.

Love, light and laughter...

Chetan Samarpan

ce 17 juillet 2017